Perdre un sens peut-il vraiment renforcer les autres ?
L’idée selon laquelle les aveugles développent des sens suraigus est bien ancrée. Mais est-ce une réalité ou un mythe ? En vérité, l’absence d’un sens n’affûte les autres que si ceux-ci sont régulièrement sollicités.
On parle souvent de compensation sensorielle, mais les preuves scientifiques restent limitées. Certains établissements, comme les restaurants dans le noir, misent sur cette croyance pour offrir des expériences gustatives prétendument intensifiées. Cependant, ce phénomène est loin d’être systématique.
Des études, notamment celles de Laurent Renier et son équipe à l’Université catholique de Louvain, apportent quelques éclairages. En 2010, leurs travaux basés sur l’IRM fonctionnelle ont révélé que chez les aveugles, le cerveau réaffecte le cortex visuel à l’amélioration des capacités auditives, olfactives et tactiles. Ce remaniement cérébral pourrait expliquer pourquoi les non-voyants se montrent souvent plus habiles à reconnaître certaines odeurs ou à analyser des sons subtils.
Plus un sens est sollicité, plus il se développe.
Ce phénomène pourrait prêter à confusion : l’amélioration sensorielle observée chez certaines personnes privées d’un sens semble davantage liée à l’effort requis pour accomplir des tâches complexes qu’à la simple absence de ce sens. Par exemple, chez les aveugles, cette adaptation cérébrale aboutit parfois à des performances accrues, comme une meilleure distinction des sons ou, plus fréquemment, l’acquisition de l’oreille absolue.
En réalité, ce n’est pas tant la perte d’un sens qui aiguise les autres, mais bien l’entraînement et la sollicitation accrue de ces derniers. Ainsi, un aveugle ne développera un toucher exceptionnel que s’il utilise fréquemment le braille, preuve que c’est l’exercice régulier qui façonne les compétences sensorielles.
Source : Sciences & Vie